La vie arrivera toujours à me surprendre.
On pense toujours tout savoir, tout ressentir, tout vivre, mais c'est faux.
J'arrive à tout petit pas vers mes 30 ans et quand je regarde en arrière, il y a souvent cette petite phrase qui raisonne en moi
"Non, je n'ai pas vécu ça, ce n'est pas moi, c'est les souvenirs de quelqu’un d'autre" et c'est ce qui se passe tout particulièrement quand je repense à mon adolescence.
Ce n'est pas une phase de ma vie dont je parle le plus avec mes amis ou ma famille, mais quand je le fais, j'ai toujours des images violentes qui me parviennent dans la tête, des images bien plus violentes que ce que j'ai ressenti à l'instant T. Quand j'étais ado, je n'avais pas conscience de ce que je vivais et je pense que c'est ça qui m'a sauvé la vie.
Je pèse mes mots quand j'écris ces lignes mais l'enfer n'a pas de mot.
Je n'ai jamais eu conscience de la force que j'avais en moi, je ne voyais pas le mal comme je le vois aujourd'hui, j'encaissais sans rien dire, sans pleurer, j'acceptais la situation qui était inacceptable, je pensais que c'était quelque chose de normal.
Aujourd'hui plus du tout, aujourd'hui quand j'y pense, je comprends mieux beaucoup de mes angoisses, de mes phobies que j'ai refoulées dans ma tête pendant très longtemps.
Il y a 10 ans, on ne parlait pas autant du harcèlement, pourtant c'était tellement violent.
J'ai fait une vidéo qui résume beaucoup de choses, mais même quand j'en parle aujourd'hui, je semble détachée, mais je ne le suis pas, c'est juste une façon de me protéger de ce qui se passe vraiment au fond de moi.
Au fond de moi, j'ai de la compassion pour cette Léa là, pour cette fille que j'ai été, comme si elle n'était pas moi, comme si j'avais vécu tout ça avec un autre corps, avec une autre âme.
2007, j'avais 15 ans.
"J'ai mal, j'ai mal, une douleur sans issue. Je ne peux pas en parler, je le veux , mais je ne peux pas, j'ai trop honte c'est de ma faute"
Ce sont les mots que j'ai écrits le soir de mon agression dans mon journal intime, le soir de l’incident.
C'était à un anniversaire, on ne buvait pas encore, on jouait à des jeux à la con et je me suis retrouvée déshabillée et filmée par deux garçons.
"Il s'est approché et a commencé à enlever mon boxer. Je ne rigolais plus, je criais, je me débattais, j'avais peur"
"Je me suis mise à courir, j'avais les pieds qui me brûlaient, mes larmes coulées. J'ai avancé en débardeur et boxer dans le noir. Je ne pouvais plus tenir debout, je me suis écroulées. J'étais salit, honteuse, je souffre dans tout mon corps, je tremble et je les entends encore rire"
"comme si je l'avais vécu avec un autre corps, avec une autre âme."
Deux pages entières où j'explique cette douleur, je comprends les choses, mais je ne veux pas en parler. J'explique même que j'ai pardonné à l'un des deux, car il s'est excusé. Preuve que je n'avais pas conscience de la situation.
J'ai vécu avec cette histoire pendant deux mois, deux mois où je sombrais petit à petit dans l'anorexie. Je n'avais que 15 ans, mais ce jour là j'ai compris que plus rien ne serait comme avant.
J'ai été victime de harcèlement pendant toute ma scolarité, pourtant j'étais la fille a qui tout le monde parlait. Je me disais que les gens ne me supportaient pas et que c'était pour ça qu'ils agissaient ainsi, que je l'avais cherché.
Alors, j'ai commencé à en rire, à accepter la situation, à accepter qu'on me cache mes affaires aux lycées, accepter qu'on me lance des cailloux, accepter qu'on hurle mon nom, qu'on écrive mon numéro de téléphone sur les tables, qu'on m'appelle pour me demander des fellations.
J'ai accepté tout ça parce que je voulais être aimé, apprécié et qu'au moins comme ça, j'avais un peu d'attention, au moins comme ça je me sentais à ma place.
Evidemment j'en ai parlé au directeur de mon lycée, mais même moi je minimisais les faits, j'avais honte, je ne voulais pas que ça retombe dessus.
J'ai vécu un enfer, mais je n'étais pas capable de voir la violence des propos. J'avais des idées très noires, je m'auto-détruisais, mais je gardais tout ça pour moi.
J'ai grandi, j'ai eu mon bac et je suis partie vivre dans une autre ville, jusqu'au jour où j'ai compris que ce n'était pas normal.
"je voulais être aimé et apprécié"
J'avais environ 20 ans et je n'étais plus dans mon village, je ne voyais presque plus personne sauf quand je sortais en boîte (ce qui était rare vers la fin).
En rentrant de boîte, je suis rentrée dans le bus et je me suis assise à côté d'un garçon que j’appréciais, mais qui traînait avec les filles qui me détestaient.
Comment vous expliquer ce que j'ai pu ressentir ce soir-là, quand des filles ont commencé à hurler dans un bus rempli de jeunes "T'as pas honte de t'asseoir avec l'autre dégueulasse" à hurler des "baaah"; "T'es dégueulasse". Entendre les gens autour de moi, rire, me regarder.
Je me sens toute petite, écrasée et surtout impuissante.
Aujourd'hui, c'est mon pire cauchemars. Cette frustration d'être dans un endroit où tu sais que tu n'as pas ta place, parce que des gens l'ont décidé ainsi.
Je suis rentrée, alcoolisée, je me suis mise dans mon lit et je n'ai pas pleuré, j'ai compris. Compris que ces gens étaient tordus et que ce n'était pas moi le problème.
On peut détester quelqu'un, mais de là, à lui faire vivre ceci, ce n'est pas humain, mais eux comme moi, on en avait pas conscience.
Aujourd'hui, je pense rarement à tout ça. Je n'en veux plus à la plupart de ces personnes. J'ai toujours ce truc de me dire "comment pouvons-nous savoir à 15 ans le bien ou le mal si on ne nous l'a pas appris?" ; "Avaient-ils conscience de ce qu'il se passait?".
Je n'étais pas la seule à vivre tout ça évidemment, je n'étais pas la seule cible de ce groupe. Ils comblaient à leur façon des vides d’adolescents. On avait tous nos mal-êtres et il est possible que moi aussi j'ai blessé des gens dans ce combat.
J'écris tout ça, c'est parce qu'aujourd'hui c'est inacceptable. Aujourd'hui on en parle, aujourd’hui on est au courant.
- si tu te reconnais dans ces lignes, sache que ces personnes n'ont pas ce droit, n'ont pas le droit de te détruire. Tu dois en parler, porter plainte, faire porter ta parole, ne plus avoir peur tout simplement. C'est de ta peur qu'ils se nourrissent.
- si tu participes à ce genre de bully, sache que ça ne fait pas de toi quelqu'un de plus fort, de meilleur, bien au contraire. Tu combles un manque de confiance, ton ego mais à l'âge adulte, tu seras seulement une personne parmi tant d'autres, avec beaucoup de souvenirs et d’amertume.
- si tu vois quelqu'un en position de faiblesse, ne suit pas la foule, ne l'enfonce pas plus. Au contraire, tends lui la main. C'est ça être quelqu'un de bien.
Le petit point positif c'est qu'aujourd'hui, comme j'en parle avec un autre regard, mes cauchemars se sont arrêtés, maintenant je rêve. Quand je me vois dans ce genre de situation la nuit, dans mon rêve je me lève et j'ouvre ma bouche, je ne me laisse plus marcher dessus et c'est la meilleure des délivrances.
qu'est ce qu'on peut être con quand on est adolescent.
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